- INCAPACITÉS JURIDIQUES
- INCAPACITÉS JURIDIQUESDans les législations contemporaines, tout individu a, pendant toute sa vie, et même parfois dès l’époque de sa conception, la personnalité juridique dont l’attribut essentiel est la capacité juridique, ordinairement définie comme l’aptitude à être titulaire de droits et d’obligations; on dit parfois, plus brièvement, que tout homme est une personne, c’est-à-dire un sujet de droits. En réalité, la notion de capacité juridique doit être précisée car, dans le vocabulaire juridique, le terme de «capacité» a souvent deux sens différents; il désigne, en effet, tantôt l’aptitude à avoir des droits et des obligations, tantôt l’aptitude à exercer seul et par soi-même les divers droits dont on peut être titulaire. Pour distinguer ces deux aspects de la capacité juridique, ou plutôt ces deux degrés dans la capacité, le droit français emploie les termes de «capacité de jouissance» et de «capacité d’exercice».Si la capacité de jouissance appartient, en principe, à tout individu puisque tous les hommes sont aujourd’hui des personnes et qu’avoir la personnalité c’est être capable de devenir sujet de droits, il arrive cependant qu’exceptionnellement et en vertu d’une disposition expresse de la loi, une personne soit privée de certains droits: elle ne peut pas, par exemple, succéder, ou être gratifiée, ou consentir une libéralité; on dit que cette personne est frappée d’une incapacité de jouissance. Parfois aussi, l’individu possède les divers droits reconnus par la loi (il en a la jouissance), mais il ne peut les exercer lui-même (une autre personne doit agir en son nom) ou ne peut les exercer seul (une autre personne doit l’assister); l’individu est alors frappé, non d’une incapacité de jouissance, mais d’une incapacité d’exercice, quelquefois appelée incapacité d’action. De même que la capacité revêt un double aspect, il existe, par conséquent, deux degrés dans l’incapacité juridique.La personnalité juridique étant l’aptitude à être titulaire de droits, il n’y a pas de personnes qui soient privées de la jouissance de tous les droits civils; une incapacité générale de jouissance équivaudrait, en effet, à une absence de personnalité, or, l’incapacité juridique constitue une restriction au champ d’application de la personnalité mais non la suppression de celle-ci. Les incapacités de jouissance sont donc toujours spéciales, c’est-à-dire qu’elles concernent seulement un ou plusieurs droits déterminés. En revanche, les incapacités d’exercice sont générales ou spéciales suivant qu’elles s’appliquent à la mise en œuvre de tous les droits civils ou sont, au contraire, limitées à l’exercice de certains d’entre eux; à vrai dire, même quand l’incapacité est dite générale, l’incapable, bien souvent, continue de pouvoir passer un certain nombre d’actes, notamment les actes conservatoires, c’est-à-dire ceux qui sont à la fois urgents, nécessaires et sans danger.La plupart des incapacités juridiques sont destinées à protéger la personne qu’elles atteignent, celle-ci n’ayant pas la lucidité, la volonté ou la force physique suffisante pour gérer sainement et efficacement ses intérêts: c’est le cas des incapacités qui frappent les mineurs et certains majeurs souffrant d’une déficience physique ou psychologique. Quelquefois pourtant, l’incapacité est une mesure de défiance à l’égard de l’incapable dont il y a lieu de craindre qu’il ne porte atteinte aux intérêts d’autrui ou à l’intérêt général: c’est notamment le cas des incapacités qui accompagnent certaines condamnations et qui constituent une véritable peine. Enfin, il arrive que les deux idées soient mêlées; ainsi l’incapacité de la femme mariée, qui subsiste dans quelques rares législations, tendrait non seulement à protéger la femme contre sa faiblesse ou son inexpérience, mais encore à prémunir son mari et ses enfants contre les imprudences (dilapidations de biens, dépenses excessives, etc.) qu’elle pourrait commettre.1. Principales causes d’incapacitéSi l’on écarte les incapacités dites de défiance qui sont, pour la plupart, des déchéances dont l’étude est inséparable de celles des condamnations qu’elles accompagnent, les incapacités juridiques sont motivées soit par la minorité, soit par une déficience physique ou morale. Le sexe féminin n’est plus, en effet, du moins en principe, une cause d’incapacité juridique, les législations modernes assurant à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme. Quant à l’incapacité de la femme mariée qui, en général, ne répond plus aux réalités sociales, elle a disparu de la plupart des législations, la principauté de Monaco et le grand duché de Luxembourg ayant été en Europe les derniers États à la supprimer, respectivement en 1970 et 1972. À l’heure actuelle, par conséquent, dans presque tous les systèmes juridiques, le mariage n’est plus, même en ce qui concerne la femme, une cause d’incapacité.MinoritéSi l’enfant a, dès sa naissance et même, dans beaucoup de législations, dès sa conception, la personnalité juridique, il n’a cependant ni la volonté ni l’intelligence nécessaires pour diriger lui-même ses affaires. Tant qu’il est en bas âge, il ne peut pas donner un véritable consentement et, même lorsqu’il commence à comprendre la portée de ses actes, il n’a encore ni l’expérience ni la maturité d’esprit voulues pour accomplir seul toute espèce d’actes juridiques. L’âge où l’être humain devient apte à gérer seul ses intérêts varie, en fait, avec chaque individu; mais comme la sécurité des relations juridiques ne saurait s’accommoder d’une constatation purement subjective, le droit fixe une règle uniforme et détermine l’âge où commence la majorité, c’est-à-dire, en principe, la période de pleine capacité. Dans les législations primitives, cet âge était très précoce car on le faisait généralement coïncider avec l’époque de la puberté qui, par exemple, à Rome, avait été fixée à douze ans pour les filles et quatorze ans pour les garçons. La simplicité des rapports juridiques et surtout la protection très efficace de la famille pouvaient expliquer cet octroi de la capacité à un âge où les facultés intellectuelles de l’enfant ne sont pas encore complètement épanouies. Mais, lorsque les liens familiaux se relâchent et qu’avec le développement économique les relations juridiques se multiplient, le législateur est alors amené à prolonger l’état d’incapacité jusqu’au moment où le développement cérébral de l’enfant est censé achevé; c’est ainsi qu’au Bas-Empire les Romains retardèrent jusqu’à vingt-cinq ans l’âge de la pleine capacité. À l’heure actuelle, la plupart des systèmes juridiques fixent la majorité à dix-huit ans et non plus vingt et un comme l’avait fait le Code Napoléon. La France attendit la loi du 5 juillet 1974 pour se conformer à cette tendance inaugurée par des États tels qu’Israël, le Liban, la Turquie ou encore les républiques socialistes. Le Japon, la Suisse et la Tunisie ont opté pour une majorité à vingt ans.L’incapacité du mineur se traduit soit par la privation de certains droits, soit par une restriction de la faculté de les exercer lui-même et seul. Le mineur est, en effet, privé, au-dessous d’un certain âge, de la jouissance de certains droits tels que celui de se marier, de conclure un contrat de travail, de faire un testament ou de consentir une donation entre vifs. En ce qui concerne les autres droits civils, il est seulement atteint d’une incapacité d’exercice dont l’étendue varie parfois selon son âge. Plusieurs systèmes juridiques, notamment ceux de l’Allemagne, de l’Autriche, de l’Égypte, de la Grèce et du Liban distinguent l’enfant en bas âge et le mineur plus âgé. Tant que le mineur n’est pas en mesure de comprendre la portée de ses actes, tant qu’il n’a pas ce que le Code civil suisse appelle la «capacité de discernement», il est frappé d’une incapacité générale d’exercice, c’est-à-dire qu’il ne peut, en principe, accomplir seul aucun acte juridique; de plus, il n’est pas responsable de ses délits et quasi-délits sauf toutefois, si, compte tenu de la situation économique respective des intéressés, l’équité exige un dédommagement et si celui-ci ne peut être obtenu d’un tiers chargé de la surveillance de l’enfant. Au contraire, quand le mineur a l’âge de raison, qui est fixé par la loi (sept ans en Allemagne et en Autriche, dix ans en Grèce) ou déterminé, dans chaque cas, par les tribunaux, il peut avoir une certaine activité juridique et, s’il a un patrimoine, il est tenu de réparer les dommages qu’il cause. Quelques législations, comme celles de la Colombie et de la Roumanie, diversifient encore davantage en distinguant, non plus deux, mais trois périodes dans la vie juridique du mineur. Ces distinctions qui rappellent celles du droit romain ont été écartées par la plupart des législations modernes, notamment celles de la France, de la Grande-Bretagne et des pays scandinaves qui règlent les effets de l’incapacité du mineur sans avoir égard, en principe, à son âge. Ces législations admettent toutefois qu’il serait illogique de traiter un jeune homme de dix-huit ou vingt ans comme un enfant de neuf ou dix ans; aussi édictent-elles, en général, des majorités spéciales ouvrant au mineur de moins de vingt et un ans certaines capacités particulières: c’est ainsi qu’à partir d’un certain âge, variable selon la nature de l’acte à accomplir mais presque toujours assez proche de la majorité, le mineur peut conclure, seul, un contrat de travail, contracter un engagement militaire, ou encore tester, sans autorisation, pour tout ou partie de ses biens.Dans beaucoup d’États, le mineur qui a atteint un certain âge (quinze ou dix-huit ans suivant les législations) peut être émancipé, c’est-à-dire être affranchi, plus ou moins complètement, de la puissance paternelle ou de la tutelle. L’émancipation est généralement accordée par le titulaire de la puissance paternelle ou le tuteur; mais elle peut aussi, dans certaines législations, être octroyée par une autorité de haute tutelle. De plus, dans la plupart des systèmes juridiques qui connaissent cette institution, notamment dans toutes les législations du groupe français, le mineur qui se marie est émancipé de plein droit. L’émancipation confère au mineur soit une pleine capacité, comme c’est le cas en Allemagne et aussi, en principe, en France, soit une demi-capacité comme en Espagne, en Italie ou en Grèce; dans cette seconde éventualité, le mineur émancipé peut accomplir seul les actes de pure administration mais a besoin, pour les actes juridiques plus importants, de l’assistance d’une tierce personne et, parfois même, de l’autorisation d’un organe de haute tutelle.Les mineurs ne sont pas les seuls individus qui font l’objet d’une incapacité de protection. Certains majeurs peuvent, eux aussi, être privés en tout ou en partie de leur capacité juridique parce qu’en raison de quelque infirmité physique ou morale, ils sont inaptes à gérer eux-mêmes leurs affaires et hors d’état de choisir un conseiller ou un représentant.Infirmité physique ou moralePeuvent être frappés d’incapacité juridique, non seulement les aliénés ou déments ainsi que les idiots et les faibles d’esprit, mais encore les sourds-muets et les aveugles (qui n’ont pas reçu une formation leur permettant d’exprimer clairement leur volonté), les alcooliques et les toxicomanes invétérés et, d’une manière générale, tous ceux qui, en raison de quelque déficience physique ou psychologique, ou même d’un âge très avancé, sont incapables de s’occuper convenablement de leurs affaires. L’incapacité juridique dont ces individus peuvent être atteints est destinée à sauvegarder leurs intérêts ainsi qu’éventuellement ceux de leurs héritiers présomptifs; mais, comme les troubles dont ils souffrent et l’incapacité naturelle qui en résulte ne sont pas toujours faciles à constater et, en tout cas, ne sont pas toujours révélés aux tiers par le seul examen de leur personne, ces majeurs doivent être déclarés incapables, en général au vu d’un rapport médical, par les autorités judiciaires ou administratives chargées d’assurer leur protection.L’étendue de l’incapacité juridique qui peut atteindre certains majeurs devrait évidemment varier suivant le degré d’altération de leurs facultés. En fait, la plupart des systèmes juridiques distinguent seulement l’individu qui est totalement privé de raison ou de volonté ou absolument empêché d’exprimer ce qu’il veut et celui dont la maladie, l’infirmité ou la passion morbide diminuent seulement le jugement. Tandis que les premiers sont frappés à la fois d’une incapacité de jouissance relativement à certains droits (comme, par exemple, celui de consentir une donation) et d’une incapacité générale d’exercice nécessitant leur représentation dans l’accomplissement des actes juridiques, les seconds conservent la conduite de leur personne et aussi, en principe, la gestion de leurs biens; seuls certains actes patrimoniaux, particulièrement graves, ne peuvent être faits par eux sans l’assistance d’un conseil. Le Code civil français contient une réglementation beaucoup plus souple qui permet au juge des tutelles, sur avis du médecin traitant, d’adapter, très exactement, l’étendue de l’incapacité du malade aux caractéristiques et à l’évolution de sa maladie.Alors que l’incapacité des mineurs prend fin par leur émancipation ou l’avènement de leur majorité, l’incapacité des majeurs cesse lors de leur guérison mais celle-ci doit être constatée officiellement.2. Fonctionnement des incapacitésS’il ne saurait être question de remédier à une incapacité de jouissance puisque celle-ci consiste dans la privation de tel ou tel droit, en revanche, l’individu qui est seulement atteint d’une incapacité d’exercice doit être mis en mesure de tirer du droit dont l’exercice lui est ôté, mais qui figure néanmoins dans son patrimoine, tout le profit qui peut en résulter; l’incapacité d’exercice des mineurs et de certains majeurs implique l’intervention d’un ou plusieurs organes chargés d’agir pour eux ou avec eux. D’autre part, les incapacités juridiques ne sont vraiment efficaces qu’à la condition d’être sanctionnées par la nullité des actes irrégulièrement accomplis.Intervention d’organes qualifiésCette intervention peut revêtir trois formes différentes: celles de la représentation, de l’assistance ou de l’autorisation. Le procédé de la représentation est employé à l’égard des incapables qui sont totalement dessaisis de l’exercice de leurs droits, comme, par exemple, les mineurs non émancipés, ou les majeurs qui, du fait d’une infirmité physique ou morale, sont absolument inaptes à prendre soin de leur personne ou de leurs biens; ces incapables ne pouvant pas accomplir eux-mêmes la quasi-totalité des actes juridiques, une tierce personne est chargée d’agir à leur place. Mais la représentation ne peut évidemment s’appliquer aux actes qui exigent une manifestation essentiellement personnelle de volonté, tels que le mariage, la reconnaissance d’un enfant naturel, la conclusion d’un contrat de mariage ou d’un contrat de travail, la confection d’un testament, ou encore certaines actions en justice, comme, par exemple, une action en divorce; pour ces actes dont la plupart ne sont d’ailleurs possibles qu’à partir d’un certain âge et seulement si l’incapable a un discernement suffisant, la technique de la représentation cède souvent la place à celle de l’assistance ou de l’autorisation. L’assistance est un procédé plus souple qui permet à l’incapable d’agir lui-même, mais à condition qu’une personne capable soit présente à ses côtés au moment de l’accomplissement de l’acte. Quant à l’autorisation , elle est assez proche de l’assistance mais en diffère cependant en ce qu’elle consiste dans un assentiment préalable donné, en une seule fois, à toute une opération, alors que l’assistance est un concours continu à celle-ci. Tandis que la représentation s’applique, d’ordinaire, aux individus frappés d’une incapacité générale d’exercice et s’étend, en principe, à tous leurs actes (à l’exception toutefois des actes éminemment personnels), l’assistance et l’autorisation ne sont, en principe, utilisées qu’à l’égard des individus atteints d’une incapacité partielle d’exercice et seulement pour certains actes graves ou dangereux pour leur personne ou leurs biens. Les incapables qui doivent être assistés ou autorisés, suivant les cas, pour les actes juridiques les plus importants, sont notamment les mineurs émancipés (dans les législations où l’émancipation ne confère pas une pleine capacité), les mineurs qui ont atteint un certain âge (dans les systèmes juridiques où l’étendue de l’incapacité du mineur est fonction de son âge), enfin certains majeurs, comme, par exemple, les «faibles d’esprit», qui ne sont pas totalement dénués de raison ou de volonté mais dont les facultés personnelles sont cependant amoindries.La représentation, l’assistance ou l’autorisation des incapables sont assurées par des organes et dans le cadre d’institutions dont les traits généraux varient assez peu d’une législation à une autre, bien que les dénominations employées soient souvent différentes. C’est ainsi que les mineurs non émancipés sont normalement protégés par les systèmes de la puissance paternelle (désormais appelée en France «puissance parentale» ou « autorité parentale») et de la tutelle. Si, dans nos codes modernes, le mineur peut être représenté, assisté ou autorisé soit par son père, soit par sa mère, dans de nombreuses législations, c’est encore en principe le père qui représente ou assiste son enfant en qualité d’«administrateur légal» ou de «tuteur légal» ou «naturel», les actes les plus importants exigeant toutefois, le plus souvent, l’accord de la mère et même, parfois, l’autorisation d’un organe de haute tutelle judiciaire ou administratif. Lorsque les parents sont divorcés ou séparés de corps, l’époux qui a la «garde» du mineur a, en général, qualité pour le représenter ou l’assister mais, dans ce cas, le contrôle étatique est, bien souvent, renforcé; de même, si l’un des deux parents est décédé, incapable ou déchu de ses droits, c’est, habituellement, l’autre parent qui est le «représentant légal» du mineur mais l’accomplissement de sa mission est alors plus ou moins étroitement surveillé par un ou plusieurs organes de haute tutelle dont l’appellation diffère suivant les législations et qui ont un caractère familial (conseil de famille), judiciaire (tribunal des tutelles, tribunal de prêture, juge des tutelles, protonotaire, etc.) ou administratif (comme c’était le cas naguère en U.R.S.S.). Quand ce sont les deux parents qui sont décédés, incapables ou déchus de leurs droits, l’enfant est généralement représenté ou assisté par un «tuteur» qui peut être soit l’ascendant le plus proche, soit une personne parente ou non du mineur, désignée par le testament du dernier mourant des père et mère ou nommée par un organe de haute tutelle, l’action du tuteur étant, elle aussi, rigoureusement contrôlée. Enfin, lorsque le mineur est émancipé mais qu’il n’acquiert pas une pleine capacité, il doit, pour certains actes importants, être assisté ou autorisé, suivant les cas, soit par ses parents, soit par un «curateur»; soit encore par une autorité de haute tutelle. Quant aux incapables majeurs, ils sont généralement soumis à des régimes de protection voisins de ceux applicables aux mineurs; bien souvent, en effet, les majeurs atteints d’une incapacité générale d’exercice doivent être représentés par un tuteur, dans le cadre d’un régime de tutelle comportant les mêmes organes que la tutelle des mineurs non émancipés, tandis que les majeurs qui sont seulement frappés d’une incapacité partielle d’exercice sont soumis à un régime d’assistance analogue à celui imposé aux mineurs émancipés (dans les législations où l’émancipation ne confère pas une pleine capacité). Rappelons enfin que le droit français connaît toute une gamme de régimes permettant d’adapter la mesure de protection à la nature et à la gravité de l’affection dont souffre le majeur.Nullité des actes irréguliersLorsqu’une personne accomplit un acte juridique pour lequel elle est frappée d’une incapacité de jouissance, cet acte est, normalement, inefficace; ce serait, par exemple, le cas d’une donation consentie (en dehors de tout contrat de mariage) par un mineur non émancipé. Et il en est ainsi même si l’incapable a agi par l’entremise de son représentant. De même, quand un individu soumis à une incapacité d’exercice accomplit, seul ou sans l’autorisation requise, un acte pour lequel il devrait être représenté, assisté ou autorisé, cet acte est, en général, atteint de nullité. Est également nul, du moins en principe, l’acte passé par le représentant légal de l’incapable sans qu’aient été respectées les formalités prévues par la loi; le représentant a, par exemple, agi sans l’accord de l’autorité de haute tutelle alors que, dans le cas envisagé, cet accord était obligatoire. L’incapacité juridique d’un individu est donc sanctionnée, en principe, par la nullité de l’acte irrégulièrement passé par lui ou pour lui; mais les caractères de la nullité diffèrent suivant le fondement de l’incapacité qu’elle sanctionne.Quand l’incapacité est édictée dans l’intérêt général et traduit la méfiance du législateur, la nullité, justifiée par l’ordre public, est une nullité «absolue» qui peut être invoquée par tous les intéressés, à l’exception, toutefois, de l’incapable lui-même, puisque l’incapacité ayant un caractère pénal ne doit pas se retourner en sa faveur; de plus, le vice qui affecte l’acte ne peut pas être «couvert», c’est-à-dire effacé, par une confirmation (ou ratification) de l’acte. Au contraire, lorsque l’incapacité est destinée à protéger les intérêts de l’incapable, l’irrégularité de l’acte est sanctionnée par une nullité «relative» dont seuls l’incapable (une fois que l’incapacité a cessé), ses ayants droit (héritiers, créanciers) ou son représentant légal peuvent se prévaloir; l’acte nul peut, d’autre part, être confirmé par ceux-là mêmes qui pourraient en invoquer la nullité, la confirmation étant toutefois soumise aux mêmes habilitations et autorisations que l’acte lui-même et n’étant donc pas possible (du moins pendant la durée de l’incapacité) dans le cas de nullité sanctionnant une incapacité de jouissance. Quand la nullité est seulement relative, le cocontractant de l’incapable est, par suite, à la merci de la décision prise par le représentant de l’incapable ou, plus tard, par l’ex-incapable qui peuvent, à leur gré, soit demander l’annulation de l’acte, soit au contraire en exiger l’exécution. Parfois, cependant, dans certains systèmes juridiques, les intérêts des tiers sont mieux protégés. C’est ainsi que certaines législations distinguent selon que l’incapable qui a agi irrégulièrement était ou non complètement dépourvu de discernement; alors que, dans le premier cas, l’acte est toujours nul, dans le second cas, l’acte est valable s’il est entièrement profitable à l’incapable (comme, par exemple, l’acceptation d’une donation sans charges ni condition). De même, en droit français et dans les systèmes juridiques qui en sont dérivés, lorsqu’un mineur accomplit seul un acte que son représentant aurait pu passer seul (sans l’intervention de l’autorité de haute tutelle) cet acte est seulement rescindable pour cause de lésion, c’est-à-dire qu’il ne peut être annulé que s’il est préjudiciable au mineur. D’autres législations tiennent quelquefois compte de l’état d’esprit du cocontractant de l’incapable; ainsi en droit anglais, les contrats conclus par un aliéné sont valables si son cocontractant était de bonne foi. En réalité, le meilleur moyen de concilier les intérêts de l’incapable et ceux des tiers est d’imposer une publicité des incapacités juridiques. Dans le cas de minorité, cette publicité ne soulève pas de difficulté puisqu’elle est assurée par l’acte de naissance de l’incapable dont la production peut toujours être demandée par le cocontractant. Au contraire, l’incapacité d’un majeur devant être constatée officiellement et donner lieu, en principe, à une décision judiciaire ou administrative, seule la publicité de cette décision peut avertir les tiers; mais cette publicité doit être relativement discrète afin de ménager les intérêts moraux de l’incapable et de sa famille: aussi doit-on préférer à l’affichage ou à l’insertion dans un journal, qui sont prévus par certaines législations, une simple mention en marge de l’acte de naissance du majeur.En définitive, les incapacités apparaissent comme des restrictions exceptionnelles à la personnalité juridique d’un être humain que le législateur prive de certains droits ou rend inapte à exercer lui-même, sans assistance ou autorisation, divers droits dont il est titulaire. Elles sont fondées sur certains caractères particuliers à l’individu qu’elles atteignent et qui font présumer tantôt l’absence ou l’insuffisance de sa volonté, tantôt l’illicéité des buts qu’il poursuit. La plupart, cependant, visent à protéger l’incapable lui-même en lui permettant, d’une part, de faire annuler les actes qu’il a irrégulièrement accomplis sans avoir à prouver la défaillance ou le vice de sa volonté, d’autre part – mais seulement lorsqu’il s’agit d’une incapacité d’exercice –, d’échapper à la présomption légale grâce à l’intervention d’organes qualifiés pour le représenter ou l’assister.
Encyclopédie Universelle. 2012.